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DOUZIÈME CHAPITRE

Le service de dévotion

Texte

arjuna uvāca
evaṁ satata-yuktā ye
bhaktās tvāṁ paryupāsate
ye cāpy akṣaram avyaktaṁ
teṣāṁ ke yoga-vittamāḥ

Synonyms

arjunaḥ uvāca: Arjuna dit; evam: ainsi; satata: toujours; yuktāḥ: engagés; ye: ceux qui; bhaktāḥ: les dévots; tvām: Toi; paryupāsate: adorent correctement; ye: ceux qui; ca: aussi; api: encore; akṣaram: au-delà des sens; avyaktam: le non-manifesté; teṣām: entre eux; ke: qui; yoga-vittamāḥ: les plus parfaits dans la connaissance du yoga.

Translation

Arjuna dit: Entre celui qui T’adore par le service de dévotion et celui qui voue un culte au Brahman impersonnel, au non-manifesté, lequel est le plus parfait ?

Purport

Kṛṣṇa nous a jusqu’ici présenté Ses formes personnelle, impersonnelle et universelle et a décrit les différentes catégories de dévots et de yogīs. D’une façon générale, on dénombre deux groupes de spiritualistes: les personnalistes et les impersonnalistes. Les premiers emploient toute leur énergie au service du Seigneur Suprême, tandis que les seconds ne s’y engagent pas directement, mais adoptent la méditation sur le Brahman impersonnel, sur le non-manifesté.

Or, ce chapitre nous révélera que de toutes les voies menant à la réalisation de la Vérité Absolue, le bhakti-yoga, ou service de dévotion, est la plus haute. Si l’on aspire vraiment à vivre en la compagnie de Dieu, la Personne Suprême, on doit pratiquer le service de dévotion.

Arjuna demande laquelle des deux voies, personnaliste ou impersonnaliste, est la meilleure. Kṛṣṇa lui répond que le bhakti-yoga, le service dévotionnel offert à Sa personne, est la plus haute des méthodes de réalisation de la Vérité Absolue. C’est la manière la plus directe, la plus aisée de L’atteindre et de vivre à Ses côtés.

Le Seigneur expliquait, dans le deuxième chapitre, que l’être est distinct du corps de matière, qu’il est une étincelle spirituelle du Tout, de la Vérité Absolue. Dans le septième chapitre, Il parlait de l’être distinct en tant que partie intégrante du Tout suprême et recommandait de porter son attention sur ce Tout. Dans le huitième chapitre, Il ajoutait que quiconque pense à Lui à l’instant de la mort se rend aussitôt dans Sa demeure au monde spirituel. Et, un peu avant, à la fin du sixième chapitre, Kṛṣṇa affirmait que d’entre tous les yogīs, celui qui, en son for intérieur, pense constamment à Lui est le plus parfait. Ainsi, presque tous les chapitres nous amènent à la conclusion qu’il faut s’attacher à la forme personnelle de Kṛṣṇa, car cela constitue la plus haute forme de spiritualité.

Il y a pourtant des gens qui ne sont pas attachés à cette forme personnelle. Ils en sont même tellement détachés qu’ils s’efforcent dans leurs commentaires de la Bhagavad-gītā de détourner les gens de Kṛṣṇa et les encouragent à se vouer au brahmajyoti impersonnel. Ils préfèrent méditer sur la forme impersonnelle et non manifestée de la Vérité Absolue, laquelle se situe au-delà de ce que peuvent percevoir les sens.

Arjuna, donc, aimerait savoir quel groupe de spiritualistes est le plus élevé et quelle est la voie la plus aisée. Il cherche en fait à savoir si sa conception est bien la meilleure car lui-même est attaché à la forme personnelle de Kṛṣṇa et n’éprouve aucune attirance pour le Brahman impersonnel. À vrai dire, la manifestation impersonnelle du Seigneur Suprême, que ce soit dans l’univers matériel ou dans le monde spirituel, se prête fort mal à la méditation, parce qu’elle ne se conçoit pas parfaitement. C’est la raison pour laquelle Arjuna s’interroge sur la valeur d’une telle méditation: n’est-elle pas, en fin de compte, qu’une simple perte de temps ? Lui-même a déjà compris par sa propre expérience – nous l’avons vu au onzième chapitre – qu’en s’attachant à la forme personnelle de Kṛṣṇa, il peut simultanément comprendre Ses autres formes, sans pour autant que son amour pour Kṛṣṇa n’en soit affecté. La réponse que Kṛṣṇa donnera à la question d’Arjuna nous permettra de bien comprendre la distinction entre les conceptions personnelle et impersonnelle de la Vérité Absolue.

Texte

śrī-bhagavān uvāca
mayy āveśya mano ye māṁ
nitya-yuktā upāsate
śraddhayā parayopetās
te me yukta-tamā matāḥ

Synonyms

śrī-bhagavān uvāca: Dieu, la Personne Suprême, dit; mayi: sur Moi; āveśya: fixant; manaḥ: le mental; ye: ceux qui; mām: Moi; nitya: toujours; yuktāḥ: engagés; upāsate: adorent; śraddhayā: d’une foi; parayā: transcendantale; upetāḥ: dotés; te: ils; me: par Moi; yuktatamāḥ: les plus parfaits dans le yoga; matāḥ: sont considérés.

Translation

Dieu, la Personne Suprême, dit: Celui qui fixe son mental sur Ma forme personnelle et toujours M’adore avec une foi transcendantale, Je le considère comme le plus parfait.

Purport

Kṛṣṇa répond clairement à Arjuna que celui qui se concentre sur Sa forme personnelle et qui L’adore avec foi et dévotion doit être considéré comme ayant atteint la perfection du yoga. Celui qui possède une telle conscience de Kṛṣṇa n’agit pas matériellement puisqu’il n’agit que pour Kṛṣṇa. Le pur dévot est toujours absorbé dans le service du Seigneur. Tantôt il écoute Ses gloires, les lit ou les chante, tantôt il prépare du prasādam, nettoie Ses plats, lave Son temple ou achète diverses choses pour les Lui offrir. Jamais il ne se passe un instant sans qu’il ne dédie ses actions à Kṛṣṇa. De telles activités sont accomplies dans un parfait état de samādhi.

Texte

ye tv akṣaram anirdeśyam
avyaktaṁ paryupāsate
sarvatra-gam acintyaṁ ca
kūṭa-stham acalaṁ dhruvam
sanniyamyendriya-grāmaṁ
sarvatra sama-buddhayaḥ
te prāpnuvanti mām eva
sarva-bhūta-hite ratāḥ

Synonyms

ye: ceux qui; tu: mais; akṣaram: ce qui est au-delà du pouvoir de perception des sens; anirdeśyam: indéfini; avyaktam: non manifesté; paryupāsate: s’engagent complètement dans le culte de; sarvatra-gam: omniprésent; acintyam: inconcevable; ca: aussi; kūṭa-stham: invariable; acalam: immuable; dhruvam: fixe; sanniyamya: maîtrisant; indriya-grāmam: tous les sens; sarvatra: partout; sama-buddhayaḥ: de disposition égale; te: ils; prāpnuvanti: atteignent; mām: Moi; eva: certes; sarva-bhūta-hite: au bien de tous les êtres; ratāḥ: occupés.

Translation

Quant à ceux qui tout entiers se vouent au non-manifesté – le concept impersonnel de la Vérité Absolue – inaccessible aux sens, omniprésent, inconcevable, invariable, immuable et fixe, en contrôlant leurs sens, en se montrant égal envers tous et en œuvrant pour le bien de tous les êtres, ils finissent aussi par M’atteindre.

Purport

Ceux qui n’adorent pas directement Dieu, Kṛṣṇa, mais qui essayent d’obtenir le même résultat par des voies indirectes, en fin de compte, parviennent eux aussi jusqu’à Lui. La Bhagavad-gītā nous apprend en effet qu’après de nombreuses naissances, lorsqu’il comprend que Vāsudeva, Kṛṣṇa, est tout ce qui est, l’homme au vrai savoir prend refuge en Lui. Si l’on désire approcher Dieu par la méthode mentionnée dans le verset qui nous occupe, il nous faut apprendre à maîtriser nos sens, se faire le serviteur d’autrui et œuvrer au bien-être de tous. Ce verset implique également qu’il ne saurait y avoir de réalisation parfaite sans approcher Kṛṣṇa. Et avant de s’abandonner entièrement à Lui, il faut souvent accomplir de nombreuses austérités.

Pour percevoir l’Âme Suprême au cœur de l’âme individuelle, il faut mettre un terme à toute activité des sens (voir, entendre, goûter, toucher, sentir, agir). Seulement alors réalise-t-on l’omniprésence de l’Âme Suprême. L’ayant ainsi réalisée, on n’envie plus les autres entités vivantes. On ne fait plus de distinction entre les êtres (homme, animal...), car on contemple non pas les enveloppes extérieures, mais l’âme seule. Cependant, l’homme du commun aura toutes les peines du monde à emprunter la voie particulièrement ardue de la réalisation impersonnelle.

Texte

kleśo ’dhika-taras teṣām
avyaktāsakta-cetasām
avyaktā hi gatir duḥkhaṁ
dehavadbhir avāpyate

Synonyms

kleśaḥ: difficultés; adhikataraḥ: beaucoup de; teṣām: pour eux; avyakta: au non-manifesté; āsakta: attaché; cetasām: pour ceux dont le mental; avyaktā: vers le non-manifesté; hi: certes; gatiḥ: le progrès; duḥkham: avec difficulté; dehavadbhiḥ: par les êtres incarnés; avāpyate: est obtenu.

Translation

Toutefois, pour ceux dont le mental s’attache au non-manifesté, à l’aspect impersonnel de l’Absolu, il est fort pénible de progresser, car cette voie s’avère toujours ardue pour l’être incarné.

Purport

Le spiritualiste qui se consacre à l’aspect impersonnel, inconcevable et non manifesté du Seigneur Suprême est un jñāna-yogī. Celui qui est pleinement absorbé dans la conscience de Kṛṣṇa, qui sert le Seigneur avec amour et dévotion, est un bhakti-yogī. La différence entre les deux se manifeste ici de façon décisive: la voie du jñāna-yoga, bien qu’elle conduise finalement au même but, est fort épineuse, alors que la voie du bhakti-yoga (servir directement le Seigneur Suprême) est infiniment plus aisée et convient naturellement à l’âme incarnée. L’âme conditionnée étant incarnée depuis des temps immémoriaux, il lui est très difficile de comprendre sur une base purement théorique qu’elle se distingue du corps matériel. Aussi, le bhakti-yogī adore Kṛṣṇa dans Sa forme arcā, laquelle lui permet d’appliquer justement la conception corporelle qu’il a de toute personne réelle. Il va sans dire que l’adoration du Seigneur Suprême dans Sa forme de mūrti n’est pas une pratique idolâtre. Les Écritures védiques précisent que le culte de Dieu peut être saguṇa ou nirguṇa, selon que l’on voit ou non le Seigneur avec Ses attributs. L’adoration de la mūrti est saguṇa, car le Seigneur y est représenté à l’aide des attributs de la matière. Toutefois, bien que l’on se serve de matériel comme le bois, la pierre ou la peinture à l’huile pour représenter la forme du Seigneur, cette dernière n’est pas matérielle. Telle est la nature absolue du Seigneur Suprême.

Prenons un exemple simple, mais fort approprié: une lettre postée dans une boîte agréée par la poste parviendra sans difficulté à son destinataire. Mais on ne pourra pas en dire autant d’une lettre jetée dans une boîte quelconque, ou dans une imitation de boîte à lettres, non reconnue par le bureau des postes. Ainsi, le Seigneur Suprême, Dieu, est-Il représenté par la mūrti (arcā-vigraha), Sa manifestation ici-bas. Puisqu’Il est omniprésent et tout-puissant, Kṛṣṇa peut, à travers Sa forme arcā, accepter le service de Son dévot et ainsi faciliter la pratique dévotionnelle de l’homme conditionné.

Il n’est donc pas difficile pour un dévot d’approcher l’Être Suprême immédiatement, directement, alors que ceux qui empruntent la voie de l’impersonnalisme rencontrent maints obstacles. Ces derniers doivent, pour comprendre l’aspect non manifesté de l’Absolu, étudier certains Écrits védiques comme les Upaniṣads, et donc apprendre la langue sanskrite. Ils doivent également arriver à comprendre des sentiments qui ne peuvent être perçus. Enfin, tout cela doit être parfaitement assimilé et réalisé, tâche bien malaisée pour un homme ordinaire. Le dévot absorbé dans le service de Kṛṣṇa n’a aucun mal à réaliser Dieu, la Personne Suprême, simplement en suivant les instructions d’un maître spirituel authentique, en rendant régulièrement son hommage à la mūrti, en écoutant les gloires du Seigneur et en faisant honneur aux reliefs sanctifiés de la nourriture qui Lui est offerte. De toute évidence, l’impersonnaliste emprunte inutilement un sentier ardu. Et il n’est même pas certain qu’il puisse un jour parvenir à réaliser la Vérité Absolue. Le personnaliste, par contre, y parviendra directement, sans risque et sans peine. On trouve dans le Śrīmad-Bhāgavatam un passage ressemblant fort à notre verset, qui déclare que si, au lieu de suivre la voie de la bhakti, au lieu de s’abandonner à Dieu, la Personne Suprême, on se risque, sa vie durant, à tenter de discerner ce qui est Brahman et ce qui ne l’est pas, on n’y gagnera que peines et difficultés. Ce verset conseille donc de ne pas se risquer à emprunter un chemin épineux, dont on ne peut être sûr qu’il mène à bon port.

L’être vivant est une âme éternellement distincte. En cherchant à se fondre dans le Tout absolu, il réalisera peut-être les aspects d’éternité et de connaissance propres à sa nature originelle, mais pas l’aspect de félicité qui lui est aussi inhérent. Il se peut néanmoins que ce spiritualiste versé dans la pratique du jñāna-yoga, en vienne un jour, par la grâce d’un dévot, au service de dévotion, le bhakti-yoga. Mais sa longue pratique de l’impersonnalisme lui créera de nouveaux problèmes, dans la mesure où il ne parviendra que difficilement à se défaire de ce concept. Ainsi, la méditation sur le non-manifesté n’offre que des difficultés à ceux qui s’y attachent, aussi bien dans la pratique que dans la réalisation. Chaque être est doté d’une indépendance partielle, mais il faut savoir en toute certitude que la voie du non-manifesté est contraire à la nature spirituelle et bienheureuse de l’âme. Il faut donc éviter de la suivre.

La conscience de Kṛṣṇa implique une absorption totale dans le service de Dieu. Elle est la meilleure voie. Celui qui délibérément se détourne du service dévotionnel court le risque de dévier vers l’athéisme. Comme l’exprime le présent verset, en tout âge, et plus encore dans le nôtre, la méthode de réalisation qui permet de fixer son attention sur l’inconcevable, le non-manifesté existant au-delà de toute approche des sens, ne doit jamais être encouragée. Le Seigneur, Kṛṣṇa, la déconseille.

Texte

ye tu sarvāṇi karmāṇi
mayi sannyasya mat-parāḥ
ananyenaiva yogena
māṁ dhyāyanta upāsate
teṣām ahaṁ samuddhartā
mṛtyu-saṁsāra-sāgarāt
bhavāmi na cirāt pārtha
mayy āveśita-cetasām

Synonyms

ye: ceux qui; tu: mais; sarvāṇi: toutes; karmāṇi: les activités; mayi: à Moi; sannyasya: abandonnant; mat-parāḥ: étant attachés à Moi; ananyena: sans division; eva: certes; yogena: par la pratique du bhakti-yoga; mām: sur Moi; dhyāyantaḥ: méditant; upāsate: adorent; tesām: pour eux; aham: Je suis; samuddhartā: le libérateur; mṛtyu: de la mort; saṁsāra: dans l’existence matérielle; sāgarāt: de l’océan; bhavāmi: Je deviens; na: pas; cirāt: après longtemps; pārtha: ô fils de Pṛthā; mayi: sur Moi; āveśita: fixé; cetasām: pour ceux dont le mental.

Translation

Mais pour qui M’adore, ô fils de Pṛthā, pour qui M’abandonne tous ses actes et se voue à Moi sans partage, pour qui se consacre au service de dévotion et, le mental fixé sur Moi, fait de Moi l’objet de sa méditation, Je suis le libérateur qui très vite l’arrachera à l’océan des morts et des renaissances.

Purport

Le Seigneur dit ici clairement qu’Il libère très rapidement Ses dévots de l’existence matérielle. Le pur service de dévotion conduit l’homme à réaliser la grandeur de Dieu et à comprendre que l’âme distincte Lui est subordonnée. Son devoir est de Le servir, autrement il servira māyā.

Comme nous l’avons vu, seul le service dévotionnel peut nous permettre de comprendre le Seigneur Suprême. Par conséquent, si l’on souhaite parvenir à Lui, on doit pleinement se vouer à Sa personne, n’agir que pour Lui et absorber pleinement son mental en Lui. Peu importe l’activité choisie, pourvu qu’elle Lui soit dédiée. Telle est la règle du service de dévotion. Le dévot ne désire pas autre chose que la satisfaction de Dieu, la Personne Suprême. Le but de sa vie étant de plaire à Kṛṣṇa, il est prêt à tout sacrifier pour Lui, comme le fit Arjuna sur le champ de bataille de Kurukṣetra. La méthode est très simple: se dévouer à Kṛṣṇa dans chacune de ses occupations en chantant ou récitant Hare Kṛṣṇa Hare Kṛṣṇa Kṛṣṇa Kṛṣṇa Hare Hare / Hare Rāma Hare Rāma Rāma Rāma Hare Hare. Par ce chant transcendantal, on développera de l’attachement pour Dieu.

Le Seigneur Suprême promet ici de sortir sans délai de l’océan de l’existence matérielle le pur dévot qui se voue à Son service. Les yogīs accomplis peuvent, par la pratique du yoga, se rendre sur la planète de leur choix – ce que l’on peut également obtenir par divers autres moyens. Mais le dévot a le privilège, comme cela est parfaitement expliqué ici, d’être emmené par le Seigneur Lui-même. Il n’a donc pas à attendre d’être très expérimenté pour se rendre au monde spirituel.

Le Varāha Purāṇa le confirme:

nayāmi paramaṁ sthānam
arcir-ādi-gatiṁ vinā
garuḍa-skandham āropya
yatheccham anivāritaḥ

Le dévot n’a pas besoin de pratiquer l’aṣṭāṅga-yoga pour se rendre sur les planètes spirituelles. Le Seigneur Suprême assume cette responsabilité pour lui et le délivre. Tout comme un enfant est en sécurité sous la protection de ses parents, le dévot n’a pas besoin de pratiquer une autre forme de yoga pour se rendre sur d’autres planètes. Dans Son immense miséricorde, le Seigneur Suprême, chevauchant l’oiseau Garuḍa, vient Lui-même sortir Son dévot de l’existence matérielle. Car, quand bien même il lutterait pour sa vie avec acharnement, quand bien même il serait un excellent nageur, l’homme perdu au milieu de l’océan ne peut, seul, éviter la noyade. Mais qu’on vienne à le repêcher, et il sera sauvé. De la même manière, le Seigneur sauve Son dévot des flots de l’existence matérielle. Il suffit simplement de suivre la méthode de la conscience de Kṛṣṇa et de s’absorber pleinement dans le service de dévotion. N’importe quel homme intelligent préférera la voie dévotionnelle à toute autre. Le Nārāyaṇīya ajoute d’ailleurs:

yā vai sādhana-sampattiḥ
puruṣārtha-catuṣṭaye
tayā vinā tad āpnoti
naro nārāyaṇāśrayaḥ

On ne devrait jamais s’adonner aux diverses formes d’action intéressée ou cultiver la connaissance par le biais de la spéculation intellectuelle, car quiconque se voue à la Personne Suprême peut jouir de tous les fruits des différents yogas, de la spéculation intellectuelle, des rites, des sacrifices, des actes de charité, etc. Telle est la bénédiction spéciale que confère le service de dévotion.

Simplement en chantant le saint nom de Kṛṣṇa – Hare Kṛṣṇa Hare Kṛṣṇa Kṛṣṇa Kṛṣṇa Hare Hare / Hare Rāma Hare Rāma Rāma Rāma Hare Hare – le dévot du Seigneur peut arriver, dans la joie et la facilité, à la destination suprême que nulle autre voie spirituelle ne permet d’atteindre.

Du reste, dans le dix-huitième chapitre, la conclusion de la Bhagavad-gītā est sans équivoque:

sarva-dharmān parityajya
mām ekaṁ śaraṇaṁ vraja
ahaṁ tvāṁ sarva-pāpebhyo
mokṣayiṣyāmi mā śucaḥ

On doit abandonner toute autre voie de réalisation spirituelle et simplement exécuter le service dévotionnel dans la conscience de Kṛṣṇa. Ainsi pourra-t-on atteindre la plus haute perfection de l’existence. Et il n’est nullement besoin de s’inquiéter des actes coupables que l’on a commis dans sa vie passée, car le Seigneur Suprême nous prend totalement sous Sa protection. Qui souhaite se réaliser spirituellement n’a donc pas à chercher à se libérer par soi-même. Que chacun prenne refuge auprès du Seigneur Suprême omnipotent, Kṛṣṇa, car telle est la plus haute perfection de l’existence.

Texte

mayy eva mana ādhatsva
mayi buddhiṁ niveśaya
nivasiṣyasi mayy eva
ata ūrdhvaṁ na saṁśayaḥ

Synonyms

mayi: sur Moi; eva: certes; manaḥ: le mental; ādhatsva: fixe; mayi: à Moi; buddhim: l’intelligence; niveśaya: applique; nivasiṣyasi: tu vivras; mayi: en Moi; eva: certes; ataḥ ūrdhvam: par la suite; na: jamais; saṁśayaḥ: de doute.

Translation

Fixe simplement ton mental sur Moi, Dieu, la Personne Suprême, et place en Moi toute ton intelligence. Ainsi, tu seras sûr de toujours vivre en Moi.

Purport

Celui qui sert Kṛṣṇa avec dévotion vit en relation directe avec Lui. Aussi, dès le début de sa pratique, sa position est en toute certitude spirituelle. Le dévot, en effet, ne vit pas sur le plan matériel. Il vit en Kṛṣṇa. Parce que le saint nom du Seigneur n’est pas différent du Seigneur Lui-même, Kṛṣṇa et Sa puissance interne dansent sur la langue du dévot lorsque celui-ci chante Hare Kṛṣṇa. Kṛṣṇa accepte directement la nourriture que Lui offre Son dévot, et ce dernier, en mangeant les reliefs de cette offrande, devient « kṛṣṇaïsé ». Mais celui qui n’adopte pas la pratique du service de dévotion ne pourra apprécier l’authenticité du processus, bien que la Bhagavad-gītā et d’autres Écrits védiques le recommandent.

Texte

atha cittaṁ samādhātuṁ
na śaknoṣi mayi sthiram
abhyāsa-yogena tato
mām icchāptuṁ dhanañ-jaya

Synonyms

atha: si donc; cittam: le mental; samādhātum: de fixer; na: pas; śaknoṣi: capable; mayi: sur Moi; sthiram: sans cesse; abhyāsa-yogena: par la pratique du service dévotionnel; tataḥ: alors; mām: Moi; icchā: le désir; āptum: d’obtenir; dhanam-jaya: ô Arjuna, conquérant des richesses.

Translation

Mon cher Arjuna, toi qui conquis tant de richesses, si tu ne peux, sans faillir, fixer sur Moi ton mental, observe alors les principes régulateurs du bhakti-yoga et acquiers ainsi le désir de M’atteindre.

Purport

Ce verset indique que le bhakti-yoga peut se pratiquer de deux façons. La première concerne ceux qui, parce qu’ils éprouvent un amour transcendantal pour Dieu, sont attachés à Kṛṣṇa, la Personne Suprême. Et la deuxième, ceux qui n’ont pas encore développé cet amour et cet attachement. Ces derniers pourront suivre certaines règles qui les amèneront finalement à s’attacher à Kṛṣṇa.

Le bhakti-yoga vise à la purification des sens. Leur emploi présent dans le cadre de l’existence conditionnée à des fins de plaisirs matériels rend nos sens impurs. Mais purifiés par le bhakti-yoga, ils entrent directement en contact avec le Seigneur Suprême. Dans l’existence matérielle, les hommes ne servent pas un maître parce qu’ils l’aiment, mais parce qu’ils souhaitent gagner de l’argent. Le maître n’éprouve pas non plus d’amour pour son subordonné. Il utilise seulement ses services et le paie en retour. Il n’est donc pas question d’amour. Dans la vie spirituelle, au contraire, on doit s’élever jusqu’à l’amour pur. Et l’on y parvient par la pratique du service de dévotion, accompli avec les sens dont on est à présent doté.

L’amour de Dieu sommeille dans le cœur de chacun. Il se manifeste sous diverses formes, mais il est contaminé par la matière. Le cœur doit donc être purifié de son contact avec la matière, et cet amour naturel ravivé. Telle est, en résumé, la voie du bhakti-yoga.

La pratique du bhakti-yoga consiste à suivre, sous la conduite d’un maître spirituel compétent, certains principes régulateurs. Ainsi de se lever de bonne heure le matin, se laver, entrer dans le temple pour y offrir des prières au Seigneur et chanter Hare Kṛṣṇa, cueillir des fleurs et les offrir à la mūrti, cuisiner pour Lui des mets délicats et les Lui offrir, en honorer les reliefs sanctifiés (prasādam), etc. Il faut également écouter sans cesse des lèvres des purs dévots le message de la Bhagavad-gītā et du Śrīmad-Bhāgavatam. Les pratiques accomplies conformément aux principes régulateurs du bhakti-yoga, sous la conduite d’un maître spirituel, aideront l’homme à s’élever jusqu’à l’amour de Dieu et lui permettront d’atteindre, en toute certitude, Son royaume spirituel.

Texte

abhyāse ’py asamartho ’si
mat-karma-paramo bhava
mad-artham api karmāṇi
kurvan siddhim avāpsyasi

Synonyms

abhyāse: dans la pratique; api: même si; asamarthaḥ: incapable; asi: tu es; mat-karma: Mon œuvre; paramaḥ: consacré à; bhava: deviens; matartham: pour Moi; api: même; karmāṇi: les actes; kurvan: accomplissant; siddhim: la perfection; avāpsyasi: tu atteindras.

Translation

Si tu ne peux, toutefois, te conformer aux principes régulateurs du bhakti-yoga, alors essaie d’œuvrer pour Moi, car en agissant pour Moi tu parviendras à l’état de perfection.

Purport

Celui qui ne parvient pas non plus à observer les principes régulateurs du bhakti-yoga sous la conduite d’un maître spirituel peut tout de même atteindre la perfection s’il œuvre pour le Seigneur. Nous avons déjà vu, dans le verset cinquante-cinq du chapitre onze, comment agir en ce sens.

Il faut encourager la propagation de la conscience de Kṛṣṇa. De nombreux dévots œuvrent déjà dans cette direction, mais ils ont besoin d’aide. Quand bien même on ne pourra directement observer les principes régulateurs du bhakti-yoga, on pourra au moins contribuer à cette expansion. Toute entreprise, qu’elle soit matérielle ou spirituelle, a besoin de terrains, de locaux, de capitaux, de main-d’œuvre, d’organisation, etc. Mais si la première ne vise que le contentement des sens, la seconde a pour but de satisfaire Kṛṣṇa. Celui qui possède suffisamment d’argent pourra financer l’érection d’un temple ou d’un centre pour la conscience de Kṛṣṇa, ou promouvoir un certain nombre de publications. La conscience de Kṛṣṇa offre suffisamment d’activités différentes auxquelles s’intéresser. L’homme qui ne parvient pas à faire l’offrande de tels travaux pourra au moins sacrifier un certain pourcentage de son temps ou de ses revenus à la propagation de la conscience de Kṛṣṇa. Ce service volontaire à la cause de la conscience de Kṛṣṇa l’aidera à développer son amour pour Dieu, ce qui l’amènera à la perfection.

Texte

athaitad apy aśakto ’si
kartuṁ mad-yogam āśritaḥ
sarva-karma-phala-tyāgaṁ
tataḥ kuru yatātmavān

Synonyms

atha: même si; etat: cela; api: aussi; aśaktaḥ: incapable; asi: tu es; kartum: de faire; mat: pour Moi; yogam: dans le service de dévotion; āśritaḥ: prenant refuge; sarva-karma: de toutes les actions; phala: aux résultats; tyāgam: le renoncement; tataḥ: alors; kuru: fais; yata-ātma-vān: situé dans le soi.

Translation

Mais si tu ne peux non plus agir dans cette conscience divine, alors efforce-toi de renoncer aux fruits de ton labeur et de devenir maître de toi.

Purport

Il se peut que, pour des raisons sociales, familiales, religieuses ou autres, un homme soit dans l’impossibilité de montrer qu’il apprécie les activités de la conscience de Kṛṣṇa. Il se peut qu’en le voyant s’attacher à ces activités, sa famille fasse obstacle à une adhésion directe, ou bien qu’il rencontre toutes sortes d’autres difficultés. Si tel est le cas, il faut au moins qu’il sacrifie pour une bonne cause les fruits de son travail. Les règles védiques prescrivent dans cette intention un certain nombre de sacrifices et d’activités particulières (puṇya) dans lesquels on peut investir les fruits de ses actes. Il parviendra alors graduellement à la connaissance. Il arrive que des gens, qui ne sont pas attirés par la conscience de Kṛṣṇa, donnent de l’argent aux hôpitaux, ou à des œuvres caritatives. Ce genre d’activité est également recommandé ici, car renoncer aux fruits durement acquis de son labeur purifie graduellement le mental et permet de mieux comprendre la conscience de Kṛṣṇa. Il ne faudrait toutefois pas en déduire que la conscience de Kṛṣṇa dépende d’autres pratiques, car elle suffit à elle seule à purifier le mental. Mais il est conseillé à celui qui, pour une raison ou pour une autre, ne peut se vouer entièrement à la conscience de Kṛṣṇa, d’offrir le résultat de ses actes. En effet, servir la communauté, la nation, la patrie, etc., pourra le conduire un jour à prendre part au service de dévotion pur. La Bhagavad-gītā (18.46) ne dit-elle pas: yataḥ pravṛttir bhūtānām – si on décide de sacrifier à la cause suprême, sans même savoir que cette cause est Kṛṣṇa, on en vient graduellement à comprendre, de par ce sacrifice même, que Kṛṣṇa est cette cause suprême.

Texte

śreyo hi jñānam abhyāsāj
jñānād dhyānaṁ viśiṣyate
dhyānāt karma-phala-tyāgas
tyāgāc chāntir anantaram

Synonyms

śreyaḥ: mieux; hi: certes; jñānam: la connaissance; abhyāsāt: la pratique; jñānāt: que la connaissance; dhyānam: la méditation; viśiṣyate: est considérée meilleure; dhyānāt: que la méditation; karma-phala-tyāgaḥ: le renoncement aux fruits des actes; tyāgāt: par ce renoncement; śāntiḥ: la paix; anantaram: par la suite.

Translation

Si à la pratique de la conscience de Kṛṣṇa tu ne peux te plier, alors cultive la connaissance. La méditation est cependant bien supérieure et le renoncement aux fruits de l’acte plus élevé encore, car il confère la paix de l’esprit.

Purport

Les versets précédents nous ont montré deux aspects du service de dévotion: la voie de l’attachement total au Seigneur Suprême, par amour pour Lui, et la voie des principes régulateurs. À celui qui se trouve dans l’impossibilité de suivre ces principes de la conscience de Kṛṣṇa, il est conseillé de cultiver la connaissance, laquelle lui permettra de comprendre sa nature véritable. Cette connaissance, en se développant, mènera à la méditation, laquelle, en se développant à son tour, permettra graduellement de comprendre Dieu, la Personne Suprême.

Certaines pratiques conduisent leurs adeptes à se prendre pour Dieu, et cette forme de méditation est préférée de ceux qui sont incapables de se dédier au service de dévotion. Si l’on ne peut méditer, on peut au moins se conformer aux devoirs prescrits dans les Écritures védiques, lesquels concernent les brāhmaṇas, les kṣatriyas, les vaiśyas et les śūdras, dont nous trouverons la liste au dernier chapitre. Mais quel que soit ce devoir, il faut toujours renoncer au fruit de son labeur, c’est-à-dire employer le résultat de ses actes (karma) au service d’une bonne cause.

On voit donc, en résumé, que deux voies mènent au but suprême, à Dieu: l’une est directe, l’autre graduelle. La voie directe consiste à pratiquer le service de dévotion dans la conscience de Kṛṣṇa, et la voie indirecte à renoncer aux fruits de ses actes pour arriver à la connaissance, puis à la méditation, puis à la réalisation du Paramātmā et, finalement, à Dieu, la Personne Suprême. On peut donc prendre soit la voie rapide, soit la voie qui oblige à avancer pas à pas. Et parce que tous ne sont pas capables de suivre la première méthode, la seconde est également valable. Toutefois, comprenons bien que Kṛṣṇa ne recommande pas la voie indirecte à Arjuna, car celui-ci a déjà atteint l’étape du service d’amour et de dévotion à Dieu. La voie indirecte ne concerne que ceux qui n’ont pas encore atteint ce niveau. Ils doivent s’élever graduellement du renoncement à la connaissance, puis de la connaissance à la méditation et enfin réaliser l’Âme Suprême et le Brahman. La Bhagavad-gītā, quant à elle, souligne la voie directe, et conseille à tous de s’abandonner directement à Dieu, la Personne Suprême, Kṛṣṇa.

Texte

adveṣṭā sarva-bhūtānāṁ
maitraḥ karuṇa eva ca
nirmamo nirahaṅkāraḥ
sama-duḥkha-sukhaḥ kṣamī
santuṣṭaḥ satataṁ yogī
yatātmā dṛḍha-niścayaḥ
mayy arpita-mano-buddhir
yo mad-bhaktaḥ sa me priyaḥ

Synonyms

adveṣṭā: sans envie; sarva-bhūtānām: envers tous les êtres; maitraḥ: amical; karuṇaḥ: bon; eva: certes; ca: aussi; nirmamaḥ: sans esprit de possession; nirahaṅkāraḥ: sans faux ego; sama: égal; duḥkhaḥ: dans le malheur; sukhaḥ: et le bonheur; kṣamī: clément; santuṣṭaḥ: satisfait; satatam: toujours; yogī: engagé dans la dévotion; yatā-ātmā: maître de soi; dṛḍha-niścayaḥ: avec détermination; mayi: en Moi; arpita: engagés; manaḥ: le mental; buddhiḥ: l’intelligence; yaḥ: celui qui; mat-bhaktaḥ: Mon dévot; saḥ me: à Moi; priyaḥ: très cher.

Translation

Celui qui se comporte avec tous en ami bienveillant et n’envie personne, qui ne se croit le possesseur de rien et s’est affranchi du faux ego, celui-là, Mon dévot, M’est très cher. La peine ne l’affecte pas plus que la joie. Tolérant, maître de ses sens, il éprouve un inaltérable contentement. Il pratique le service de dévotion avec détermination, son mental et son intelligence toujours fixés sur Moi.

Purport

Revenant sur le service de dévotion pur, le Seigneur décrit dans ces deux versets les qualités spirituelles du pur dévot. Il n’est jamais perturbé, quelles que soient les circonstances. Il n’est envieux de personne. Il ne devient jamais l’ennemi de son ennemi. Il pense que l’inimitié qu’on éprouve à son égard vient de ses propres méfaits passés. Il préfère donc souffrir plutôt que protester. Le Śrīmad-Bhāgavatam (10.14.8) enseigne d’ailleurs: tat te ’nukampāṁ susamīkṣamāṇo bhuñjāna evātma-kṛtaṁ vipākam. Qu’il soit plongé dans un profond désarroi ou confronté à des difficultés, le dévot se sent toujours béni par le Seigneur. Il pense: « Mes péchés furent tels que je devrais souffrir mille fois plus. Si je ne reçois pas la totalité du châtiment, ce n’est que parce que le Seigneur Suprême est miséricordieux. Par l’effet de Sa grâce, je n’en reçois qu’une portion infime. » C’est pourquoi il est toujours calme, serein et patient, même dans les pires circonstances. Le dévot par ailleurs fait preuve de bonté envers tous, même envers son ennemi.

Le terme nirmama indique que le dévot n’accorde qu’une importance relative aux douleurs et aux problèmes inhérents au corps, car il se sait parfaitement distinct de son enveloppe charnelle. Comme il ne s’y identifie pas, il est affranchi du faux ego et demeure égal dans la joie comme dans la peine. Il est tolérant et se satisfait de ce que Dieu lui donne miséricordieusement. Comme il n’accomplit pas d’efforts inconsidérés pour obtenir ce qui présente trop de difficulté, il est toujours joyeux et paisible. Il est le plus parfait des spiritualistes, car il suit rigoureusement les instructions de son maître spirituel. Et parce qu’il domine ses sens, il est doté d’une forte détermination. Aucun argument fallacieux ne l’ébranle. On ne peut affaiblir sa ferme volonté de servir le Seigneur avec dévotion. Comme il sait, en toute conscience, que Kṛṣṇa est le Seigneur éternel, il n’est troublé par personne. Et toutes ces qualités lui permettent de fixer complètement son mental et son intelligence sur le Seigneur. Bien qu’il soit sans aucun doute très rare de parvenir à un tel niveau de dévotion, le dévot l’atteint en suivant les principes régulateurs du bhakti-yoga. En outre, le Seigneur déclare qu’un tel dévot Lui est très cher, car ses actes, accomplis dans une conscience divine, Le satisfont toujours.

Texte

yasmān nodvijate loko
lokān nodvijate ca yaḥ
harṣāmarṣa-bhayodvegair
mukto yaḥ sa ca me priyaḥ

Synonyms

yasmāt: par qui; na: jamais; udvijate: sont tracassés; lokaḥ: les gens; lokāt: les gens; na: jamais; udvijate: n’est troublé; ca: aussi; yaḥ: quiconque; harṣa: du bonheur; amarṣa: du malheur; bhaya: de la crainte; udvegaiḥ: et de l’anxiété; muktaḥ: libéré; yaḥ: qui; saḥ: quiconque; ca: aussi; me: à Moi; priyaḥ: très cher.

Translation

Celui qui n’est jamais cause de tracas pour autrui et ne se laisse lui-même jamais troubler, que n’affectent ni la joie ni la peine, ni la crainte ni l’anxiété, celui-là M’est très cher.

Purport

Ici se poursuit l’énumération des qualités du dévot. Bon envers tous, il n’est cause de difficulté, de crainte, d’angoisse ou de mécontentement pour personne. Même quand on tente de le perturber, il ne se tourmente pas, car, par la grâce du Seigneur, il a appris par expérience à tolérer les assauts du monde extérieur. En fait, la conscience de Kṛṣṇa et le service de dévotion l’absorbent à tel point que rien de matériel ne peut le déranger. En général, un matérialiste est satisfait quand ses sens et son corps jouissent de certains plaisirs, mais se ronge de chagrin et de jalousie quand un autre jouit d’un objet de plaisir auquel il n’a pas accès. Il vit dans la crainte lorsqu’il redoute la vengeance d’un ennemi, et devient morose s’il ne peut s’acquitter d’une tâche avec succès. C’est parce qu’il transcende toutes ces agitations que le dévot est très cher à Kṛṣṇa.

Texte

anapekṣaḥ śucir dakṣa
udāsīno gata-vyathaḥ
sarvārambha-parityāgī
yo mad-bhaktaḥ sa me priyaḥ

Synonyms

anapekṣaḥ: neutre; śuciḥ: pur; dakṣaḥ: expert; udāsīnaḥ: libre de soucis; gata-vyathaḥ: libre de toute souffrance; sarva-ārambha: à toute entreprise; parityāgī: celui qui renonce; yaḥ: quiconque; mat-bhaktaḥ: Mon dévot; saḥ: il; me: à Moi; priyaḥ: très cher.

Translation

Mon dévot, cet être pur, expert en tout, qui ne dépend pas du cours ordinaire des choses, qui est libre de tout souci, de toute souffrance, et qui ne recherche point le fruit de ses actes, M’est très cher.

Purport

Le dévot peut accepter l’argent qu’on lui offre, mais ne lutte jamais pour en obtenir. Si par la grâce du Seigneur, l’argent lui vient, il ne s’en émeut pas. Il se lave systématiquement au moins deux fois par jour et se lève tôt le matin pour entreprendre ses activités dévotionnelles. Sa pureté, tant interne qu’externe, est ainsi garantie. Convaincu de l’autorité des Écritures, il agit toujours de façon experte, car il connaît le sens et la portée de toute action. Parce qu’il ne prend part à aucun conflit, il n’a aucun souci. Comme il est affranchi de toute désignation matérielle, il ne connaît jamais la douleur. Se sachant distinct du corps, il n’est pas affecté par les souffrances corporelles. Le pur dévot n’entreprend jamais rien qui aille à l’encontre des principes du service de dévotion. Construire un bâtiment, par exemple, requiert de grands efforts. Un dévot ne se lancera donc jamais dans une telle entreprise si elle ne favorise pas son progrès dans la conscience de Kṛṣṇa. Il construira, certes, un temple et acceptera tous les soucis que cela implique, mais jamais une maison luxueuse pour son utilisation personnelle.

Texte

yo na hṛṣyati na dveṣṭi
na śocati na kāṅkṣati
śubhāśubha-parityāgī
bhaktimān yaḥ sa me priyaḥ

Synonyms

yaḥ: celui qui; na: jamais; hṛṣyati: ne prend plaisir; na: jamais; dveṣṭi: ne s’attriste; na: jamais; śocati: ne s’afflige; na: jamais; kāṅkṣati: ne désire; śubha: propice; aśubha: funeste; parityāgī: celui qui renonce; bhaktimān: dévot; yaḥ: celui qui; saḥ: il est; me: Mon; priyaḥ: cher.

Translation

Il M’est très cher le dévot que n’affectent ni la joie ni la peine, qui jamais ne s’afflige et jamais ne convoite, qui renonce tant aux situations propices que funestes.

Purport

Une perte matérielle n’affecte pas plus le pur dévot qu’un gain ne le réjouit. Il n’est pas particulièrement désireux d’avoir un fils ou un disciple, et n’est pas non plus malheureux s’il n’en obtient pas. Il ne se lamente ni pour la perte de ce qui lui est cher, ni pour ce qu’il ne peut obtenir. Il demeure transcendantal, aussi bien face à ce qui est propice, qu’à ce qui est funeste ou condamnable. Mais pour satisfaire le Seigneur, il est prêt à accepter toutes sortes de risques, car rien ne saurait faire obstacle à son service de dévotion. Un tel dévot est très cher au Seigneur.

Texte

samaḥ śatrau ca mitre ca
tathā mānāpamānayoḥ
śītoṣṇa-sukha-duḥkheṣu
samaḥ saṅga-vivarjitaḥ
tulya-nindā-stutir maunī
santuṣṭo yena kenacit
aniketaḥ sthira-matir
bhaktimān me priyo naraḥ

Synonyms

samaḥ: égal; śatrau: envers l’ennemi; ca: aussi; mitre: envers les amis; ca: aussi; tatha: ainsi; māna: dans l’honneur; apamānayoḥ: et le déshonneur; śīta: dans le froid; uṣṇa: la chaleur; sukha: le bonheur; duḥkheṣu: et le malheur; samaḥ: également disposé; saṇga-vivarjitaḥ: libre de tout contact; tulya: égal; nindā: dans la diffamation; stutiḥ: et le renom; maunī: silencieux; santuṣṭaḥ: satisfait; yena kenacit: de tout; aniketaḥ: n’ayant pas de demeure; sthira: fixe; matiḥ: détermination; bhaktimān: engagé dans la dévotion; me: à Moi; priyaḥ: cher; naraḥ: un homme.

Translation

Celui qui traite pareillement l’ami et l’ennemi, qui demeure égal dans l’honneur et le déshonneur, la chaleur et le froid, le bonheur et le malheur, la gloire et la diffamation, qui toujours se garde des mauvaises fréquentations, qui, silencieux, satisfait de tout et insouciant du gîte, est établi dans la connaissance et Me sert avec amour et dévotion, celui-là M’est très cher.

Purport

Un dévot ne vit jamais en mauvaise compagnie. Un homme est parfois loué, parfois diffamé, c’est la nature même de la société humaine qui le veut. Mais le dévot transcende toujours les catégories artificielles que sont la gloire et la diffamation, le bonheur et le malheur. Il est très patient. Comme il n’a pas d’autre sujet de conversation que Kṛṣṇa, on le dit silencieux. Être silencieux ne signifie pas se taire, mais s’abstenir de prononcer des sottises. On ne doit parler que de choses essentielles. Le Seigneur Suprême est donc au centre de toutes les conversations du dévot. Il est heureux quoi qu’il arrive. Qu’il ait ou non à manger des mets savoureux, il demeure satisfait. Peu lui importe le confort d’un logis; vivre sous un arbre, vivre dans un palais, l’un n’a pas plus d’attrait que l’autre. Sa détermination et sa connaissance sont inébranlables. On objectera peut-être qu’il y a un certain nombre de répétitions dans cette liste, mais elles n’ont d’autre but que de souligner qu’il est indispensable qu’un dévot acquière toutes ces qualités. Sans elles, nul ne pourra devenir un pur dévot. Et quiconque n’est pas un dévot du Seigneur ne possède, à vrai dire, aucune bonne qualité (harāv abhaktasya kuto mahad-guṇāḥ). Le dévot doit donc acquérir ces qualités pour être reconnu en tant que tel mais il n’a pas à fournir d’efforts hors de la conscience de Kṛṣṇa pour les développer: le service de dévotion lui permet de les acquérir automatiquement.

Texte

ye tu dharmāmṛtam idaṁ
yathoktaṁ paryupāsate
śraddadhānā mat-paramā
bhaktās te ’tīva me priyāḥ

Synonyms

ye: ceux qui; tu: mais; dharmya: de la religion; amṛtam: nectar; idam: ce; yathā: comme; uktam: dit; paryupāsate: s’engagent complètement; śraddadhānāḥ: avec foi; mat-paramāḥ: considérant que le Seigneur Suprême est tout; bhaktāḥ: les dévots; te: ils; atīva: très très; me: à Moi; priyāḥ: chers.

Translation

Celui qui, plein de foi, s’engage tout entier dans cette impérissable voie du service de dévotion, faisant de Moi le but suprême, M’est infiniment cher.

Purport

Des versets deux à vingt (de mayy āveśya mano ye mām – « celui qui fixe son mental sur Moi » – jusqu’à ye tu dharmāmṛtam idam – « cette impérissable voie du service de dévotion »), le Seigneur a décrit les différents procédés spirituels qui permettent d’aller jusqu’à Lui. Ces procédés sont très chers à Kṛṣṇa, qui reconnaît pour Sien quiconque les suit.

Arjuna demandait quelle était la meilleure voie, entre la recherche du Brahman impersonnel et le service offert à la Personne Suprême. Le Seigneur lui répond si explicitement qu’il est impossible de douter que le service dévotionnel offert à la Personne Suprême soit la meilleure méthode de réalisation spirituelle. En d’autres mots, ce chapitre certifie que la fréquentation de dévots nous amène à développer un attachement pour le pur service de dévotion et à accepter un maître spirituel authentique. On écoute alors de ses lèvres l’enseignement spirituel et l’on commence à chanter les gloires du Seigneur, à observer avec foi, attachement et dévotion les principes régulateurs du bhakti-yoga. Ainsi se trouve-t-on engagé au service transcendantal du Seigneur.

Tout le chapitre met l’accent sur cette voie. Il est donc certain que le service dévotionnel est le seul procédé qui mène de façon absolue à la réalisation spirituelle, à Dieu, la Personne Suprême. La conception impersonnelle de la Vérité Suprême et Absolue, qu’on trouve également décrite dans ce chapitre, n’est valable que jusqu’au moment où l’on se voue à la pleine réalisation spirituelle. En d’autres termes, elle est utile tant qu’on n’a pas eu l’opportunité de rencontrer un pur dévot. Celui qui suit la voie impersonnelle agit sans convoiter les fruits de ses actes. Il médite et cultive la connaissance afin de pouvoir distinguer le spirituel du matériel – activités nécessaires, répétons-le, tant que l’on n’a pas rencontré un pur dévot. Mais celui qui, par bonheur, trouve directement en lui le désir de suivre la voie de la conscience de Kṛṣṇa, en prenant part au service de dévotion pur, n’a pas à franchir une à une les étapes de la réalisation spirituelle. Le service de dévotion, décrit du chapitre sept au chapitre douze de la Bhagavad-gītā, convient mieux à l’être. Pour qui l’adopte, en effet, nul besoin de se soucier du maintien du corps, car, par la grâce du Seigneur, tout lui vient naturellement.

Ainsi s’achèvent les teneurs et portées de Bhaktivedanta sur le douzième chapitre de la Śrīmad Bhagavad-gītā traitant du service de dévotion.